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A PROPOS DE L'HISTOIRE DU MOULIN

Nous sommes le 3 août 1995. C'est une matinée lumineuse qui rassemble les Amis de Kervoyal au pied du moulin. L'été précédent, il avait reçu son toit de bardeaux, et là, ce sont de grandes ailes, d'une envergure totale de 18m60, qui dérivent doucement vers lui.
Un vieil homme regarde le spectacle en plissant les yeux. Grand, mince, un beau visage sillonné de rides, casquette de marin sur cheveux blancs, vaguement appuyé sur une canne, il semble venir de loin.

-" Je viens de Guérande. Vous connaissez le moulin du diable?
- Les amoulageurs de Guérande, tous les quatre ans, venaient au moulin de Kervoyal, descendre les ailes et les repeindre.
- A Guérande, le meunier aurait sauvé son âme en plaçant une statue de la Vierge...
- Que Saint Victor protège notre moulin! Des origines aussi dramatiques lui sont inconnues. On distingue les débuts de son histoire sous Louis XV, puisqu'il figure sur la carte de Cassini demandée par le souverain. Mais c'est vrai sa trace est ensuite retrouvée à une époque extrêmement troublée: La révolution française gronde. En 1796, le moulin est l’objet d’une confiscation par la République, et est vendu, le 23 août, en tant que bien national, plus précisément « bien d’émigré »*, à Monsieur Charles Rousseau, pour la somme de 3000 livres .
- Voyez-vous, à Guérande, la légende entoure le moulin d'une aura mystique... Il était, dans le plein sens du terme, au cœur de la vie des paysans...
- De même à Kervoyal, où la légende a touché aussi de son doigt magnifique le moulin. Il est rapporté que le chef de la chouannerie bretonne, Cadoudal en personne, y aurait passé une nuit, il y a 200 ans, en 1795.  Rappelez-vous; sous la révolution les meuniers faisaient figure de riches, puisqu’ils avaient ce qui manquait à Paris: le pain. Ils furent persécutés à l'égal de tant d'autres, et prirent dans l'ouest, le parti des royalistes contre les bleus. Leurs moulins servirent de refuge, de cache, la position des ailes indiquant aux chouans la position des bleus...
- De là, l'expression "moulin à paroles"?
- Quoiqu'il en soit, notre moulin pourrait revendiquer aujourd'hui le titre de symbole de la Chouannerie en Bretagne.
- A l'instar du moulin de Valmy, qui, à la même époque illustre la victoire des troupes françaises contre les prussiens, votre moulin se verrait érigé en figure de proue de l'histoire...
- Figure de proue de l'histoire...  et figure de proue de la terre; Car le moulin était amer maritime. Voyez sur la tour, côté embouchure de la Vilaine, cette grande plaque: elle était blanchie comme une voile, du temps où elle parlait aux marins.
- Le meunier lui-même n'avait rien à envier aux navigateurs dans la connaissance et l'utilisation des vents à son service.
- Et pour ne plus avoir à réduire la toile sous un grain, en grimpant dans les ailes comme un marin dans les enfléchures, on inventa au début du siècle un système qui permit d'effectuer des manœuvres  de l'intérieur du moulin; Ainsi furent conçues de nouvelles ailes, constituées de lattes de bois, articulées et amovibles, autorisant à moduler la surface. A Kervoyal, leur envergure imposa de rehausser la tour. On raconte que la tour avait déjà été remontée une première fois, car les ailes entoilées qui rasaient le sol, avaient emporté une femme par ses jupes.
- Finalement, votre moulin dominait le pays.
- Et servait d'autant mieux de baromètre aux cultivateurs, qui, de leurs champs, recevaient les messages ailés.
- Toujours le moulin à paroles!
- Ou à chanson; Vous savez que le fameux tic-tac des moulins à vent était produit par les engrenages en bois. Le meunier en avait toujours à l'oreille le rythme. Une accélération signifiait que les meules, soit celles à blé noir, soit celles à froment, tournaient trop vite.
- Il fallait donc réduire le déploiement des ailes.
- Non; celui-ci s'ajustait -automatiquement - sur celui du vent. L'accélération du tic-tac, c'était le grain à broyer qui diminuait et non le vent qui forcissait.
- Jusqu'au jour où il n'y eut plus de grain à moudre, et que maître Cornille devint tristement célèbre...
- L'essor industriel, accompagné des minoteries, a en effet stigmatisé la meunerie à vent. "La meule ne fait qu'une mauvaise mouture, qui ne peut convenir qu'aux animaux" décrète t-on en haut lieu, en 1953. A Kervoyal, afin de ne plus payer la patente, les ailes sont démontées en 1963.  Pendant deux ans le moulin continue de "tourner" avec un moteur. Mais les vents ne le reconnaissent plus, et en décembre 1979, au cours d'une tempête, le décapitent.
- Ah, si la Vierge l'avait protégé comme à Guérande!
- Mais il n'y aurait pas eu la belle aventure des Amis de Kervoyal..."
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*C'est à partir de 1791 mais surtout 1792, après Valmy, que les biens ont été déclarés bien nationaux et ont été vendus. Ce furent d'abord les biens religieux qui furent déclarés biens nationaux (ils sont dits de première origine), et saisis, et vendus. Ensuite ce furent uniquement les biens d'émigrés qui furent déclarés biens nationaux ( ils sont dits de seconde origine). En quelque sorte c'était une punition: ils avaient émigré, abandonné le territoire national, et donc on leur confisquait leurs biens.