Des accrocs dans la protection des sites classés

Un projet de décret propose de confier au préfet la décision d’autoriser des travaux sur ces espaces naturels.

Par  Publié aujourd’hui à 12h15

La calanque de Port-Pin, dans le parc national des        Calanques.

La calanque de Port-Pin, dans le parc national des Calanques. Uwe Kazmaier/Biosphoto

La dune du Pilat, le massif du Mont-Blanc, le Mont-Saint-Michel, les gorges du Tarn ou celles de l’Ardèche, les calanques de Marseille… tous ces sites classés – ils sont 2 700 en France, couvrant 2 % du territoire – sont-ils menacés ? Seront-ils moins bien protégés ?

Un projet de décret, qui fait l’objet d’une consultation publique qui s’achevait jeudi 20 juin, propose deconfier la délivrance des autorisations de travaux sur ces sites au préfet, dans un but de « simplification ». Jusqu’alors, les travaux importants projetés sur un site classé, de nature à modifier les lieux, étaient soumis à une décision délivrée, en fin d’instruction, par le ministre chargé des sites, soit celui de la transition écologique et solidaire.

Les travaux les plus modestes pouvaient, eux, être autorisés par les préfets de département. C’est donc à ce niveau local que la totalité des autorisations va être prise, même si, prévoit le projet de décret, le ministre pourrait se saisir « de sa propre initiative ou sur proposition de toute personne physique ou morale », et délivrer lui-même l’autorisation.

Dans un front commun, et très large, les opposants dénoncent un texte qui remettrait en cause le fondement même de la protection du patrimoine national, une politique fixée par une loi en 1906, renforcée en 1930. « Ce décret de “simplification”, voulu au nom d’une “prise de décision au plus près des territoires et des acteurs” et d’un raccourcissement des délais d’instruction, reviendrait en réalité à assouplir la délivrance des autorisations de travaux et à déréguler », écrivent les représentants de nombreuses associations, dans une tribune publiée dimanche 16 juin dans le Journal du dimanche.

« Nous savons tous que les décisions locales sont exposées aux multiples pressions aménagistes »

Parmi eux, Isabelle Autissier (Fonds mondial pour la nature, WWF), Stéphane Bern (journaliste, chroniqueur et chargé de mission sur le patrimoine en péril), Michel Dubromel (France Nature Environnement) et les responsables de la Fédération des conservatoires d’espaces naturels, celle des parcs naturels régionaux, de Sites & Monuments, de la Fédération française de la randonnée pédestre, de Mountain Wilderness France, de la Ligue pour la protection des oiseaux… Autant dire tous les acteurs qui gravitent autour de ces sites classés.

Pourquoi une telle unanimité ? Pour les opposants, les préfets ne seraient pas les mieux placés pour arbitrer entre enjeux nationaux et locaux et n’auraient pas les moyens nécessaires pour conserver « ces joyaux naturels ». « Nous savons tous que les décisions locales sont exposées aux multiples pressions aménagistes, bien souvent soutenues sans prendre encompte l’intérêt de la préservation du patrimoine paysager », avance l’Association des inspecteurs des sites et des chargés de mission paysage. « Si le porteur de projet est un homme politique influent ou un chef d’entreprise qui pèse localement, quelles seront les capacités de résistance d’un préfet ? », s’interroge David Couzin, président de l’association.

« Perte de cohérence »

Elodie Martinie-Cousty, représentante de France Nature Environnement à la commission supérieure des sites, perspectives et paysages, s’inquiète : « On est présents dans les territoires et on sait très bien comment cela se passe. Les départements et les préfets ne sont pas égaux face à ces dossiers, ils sont soumis à des pressions, doivent être moteurs de l’activité économique avec les enjeux d’emplois, bien souvent avancés par ceux qui vont proposer de bâtir un hôtel, ou un complexe touristique. »

Au ministère de la transition écologique et solidaire, beaucoup, dans l’anonymat, regrettent cette déconcentration et racontent la mainmise du ministère de l’intérieur, soucieux de voir le pouvoir des préfets conforté. Dans l’entourage du ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy, on préfère rappeler que « la décision pourra continuer à revenir au ministère pour tous les projets jugés susceptibles d’avoir un impact sur l’environnement, puisque le ministre conserve le pouvoir de s’autosaisir ou d’être saisi sur chaque demande d’autorisation ».

L’argument ne suffit pas à rassurer les opposants. « Pour se saisir d’un dossier d’autorisation spéciale, encore faudrait-il que le ministre soit alerté, avance Soline Archambault, directrice du réseau des Grands sites de France. Cette déconcentration signifie une perte de cohérence au niveau national. »

Tribunes, pétitions, courriers au ministre se comptent par dizaines

La mobilisation contre le décret est forte et les tribunes, pétitions, courriers au ministre se comptent par dizaines. Lors de la consultation sur Internet, près de 2 000 contributions (dont la majorité sont hostiles au texte) ont été postées. Parmi elles, celle postée le 19 juin, par Philippe Rey, ancien préfet (Aube, Cantal, Côtes-d’Armor, Pyrénées-Atlantiques) et ancien chef du bureau des sites au ministère de l’environnement, qui se dit « défavorable » à ce projet de décret, car la déconcentration annoncée « affaiblirait considérablement la protection de ces lieux ».

« D’une part, il faut bien reconnaître que les préfets ne sont pas tous, loin de là, sensibles aux questions de protection du patrimoine, et ont souvent tendance à donner la priorité à d’autres enjeux, avance l’ancien préfet. D’autre part, même s’ils y sont sensibles, le contexte local et la nécessité d’entretenir de bonnes relations avec les élus ou les milieux économiques risquent de conduire les préfets à des concessions au détriment de la protection des sites. » Et d’expliquer, à l’instar de tous les opposants, que le ministre a une « capacité de résistance et un recul » qui apportent une « garantie beaucoup plus forte ».

« Syndrome de la simplification »

Alors que le gouvernement affiche sa volonté d’accélérer sur l’écologie, ainsi que le premier ministre l’a indiqué dans sa déclaration de politique générale, le 13 juin, ce texte envoie des signaux contraires. Une première version de ce décret avait recueilli l’assentiment des associations mais a été écartée par Matignon, regrettent les opposants.

Le ministère tente de rassurer : « Il n’est absolument pas question de remettre en cause la préservation des sites classés ou de l’environnement, simplement de rapprocher du terrain certaines décisions ou avis administratifs qui peuvent l’être, afin d’en raccourcir les délais et de les fluidifier », insiste-t-on dans l’entourage du ministre. Ce qui ne convainc pas. « Avec le syndrome de la simplification, tout doit être plus facile, avec moins de débats, moins de délais et moins de recours possibles », dénonce Isabelle Autissier.

« On demande au préfet d’assumer plusieurs rôles »

Un autre point du projet de loi relatif à l’énergie et au climat inquiète les défenseurs de l’environnement. L’article 4 propose de donner au préfet la prérogative de décider si un projet doit faire l’objet d’une évaluation environnementale. Pour l’heure, selon une liste établie par le Code de l’environnement, les projets sont soit soumis systématiquement à cette évaluation, comme pour les éoliennes par exemple, soit en sont exonérés, soit y sont soumis au « cas par cas ».

C’est ce dernier scénario que vise à simplifier le texte. « Il convient déjà au préfet d’autoriser ou non in fine un projet. On lui demande d’assumer plusieurs rôles en maintenant une apparence d’impartialité dans chacun de ces rôles », critique France Nature Environnement. Pour l’ONG, ce dispositif serait contraire au droit communautaire.

Un risque minimisé par le ministère qui avance qu’un décret, à venir, précisera les différents niveaux. Ce serait alors au préfet de région de décider, au cas par cas, de la nécessité d’une évaluation environnementale, puis à la Mission régionale d’autorité environnementale (autonome par rapport aux services préfectoraux) de rendre un avis sur cette évaluation, et enfin au préfet de département d’autoriser ou non le projet.